La guerre aux drogues, une guerre contre les minorités ethniques ?

D’une guerre à l’autre

Au début des années 70, le président Nixon lançait une « guerre aux drogues », qualifiant les drogues d’ « ennemi public numéro un ». Ce que décidait le chef de l’Empire s’est alors appliqué à tout l’Empire. Ainsi, le monde a basculé aveuglément dans une chasse aux drogués, avec la prison comme principal objectif thérapeutique. Aujourd’hui, on estime qu’un quart des 9 millions de personnes détenues dans le monde le sont en raison d’infractions aux lois sur les stupéfiants.

Aveuglément ? Pas si sûr. La question de la couleur, celle de la peau en l’occurrence, est venue éclairer d’un jour nouveau le prix payé.

De ce point de vue, les anglo-saxons ont une longueur d’avance par rapport à nous. Ainsi, la politologue américaine, Michelle Alexander dans son ouvrage The New Jim Crow, Mass incarceration in colorblindness a réussi à démontrer que la guerre aux drogues, telle que conduite, était clairement une guerre raciale :

« Malgré le fait que depuis des décennies, toutes les statistiques montrent que les Noirs ne vendent ni ne consomment plus de drogues que les Blancs, le public en est arrivé à associer la couleur noire avec les stupéfiants » (interview dans ASUD journal n°52, 13 mai 2013).

Un double point aveugle en France

Depuis plus de 40 ans, en France, l’histoire de la répression des drogues et celle de l’immigration se déroulent en parallèle ; elles peuvent concerner les mêmes personnes mais n’ont jamais été croisées. De Sevran aux quartiers Nord de Marseille – pour ne citer que ces 2 endroits – la violence liée aux trafics de drogues illicites frappe en premier lieu les gens qui vivent et grandissent dans ces territoires.

Comment en est-on arrivé là ? Il est à noter que nous sommes au croisement de deux non-dits formés :

  • d’un côté par celui de la demande de produits stupéfiants, et notamment de cannabis qui émane majoritairement des classes moyennes « blanches » qui se fournissent majoritairement auprès de leurs « pairs ». (voir étude OFDT 2010 sur saisies dans la capitale)
  • de l’autre côté par notre difficulté française à évoquer les couleurs de peau autrement que sous l’angle du métissage : « nous sommes tous frères. Il n’y a ni race, ni couleur de peau ».

Lever le voile

N’est-il pas temps de lever le voile et d’ouvrir un véritable débat autour de cette question : et si la guerre aux drogues était aussi une guerre aux banlieues, une guerre aux minorités ethniques, une guerre raciale ?

Cette interrogation peut paraître radicale, voire violente au regard de nos traditions républicaines. Mais les idées reçues sont tenaces. Certes, nous ne disposons pas, en France, de statistiques ou de données objectives permettant de documenter ce phénomène. Mais, un tour dans nos prisons ou être témoin d’interpellations dans la rue pour infractions à la loi sur les stupéfiants suffit à constater que les Noirs et les Arabes sont surreprésentés.

Il est temps de se poser la question. D’autant que le monde bouge en ce qui concerne la politique des drogues. La Commission mondiale des drogues – formée par d’anciens chefs d’État et des personnalités éminentes comme les anciens présidents Fernando.

Cardoso et Ernesto Zedillo, ou encore Kofi Annan – déclinent depuis 3 ans les méfaits de la guerre aux drogues, notamment sur le plan de la sécurité et de la stabilité des États. Cela a conduit les Nations-Unies à programmer, en 2016, une session spéciale de l’Assemblée générale consacrée à la réforme des politiques des drogues.

Une démarche novatrice

Face à ce constat, le think tank « République & Diversité » et les associations AFR et le CRAN amorcent un travail d’étude et de sensibilisation pour alerter les institutionnels et leaders d’opinion sur les violences que génère le « contrôle au faciès » dont sont victimes les Noirs et les Arabes avec une étude et une campagne intitulée « la guerre aux drogues, une guerre raciale ? ». En se nourrissant de témoignages à la fois de jeunes de quartiers populaires mais également de ceux issus de quartiers aisés, d’expertises d’associations et du vécu d’anciens de la Police, ils tentent de démontrer que l’actuelle guerre menée contre les drogues met à mal notre cohésion sociale et notre espace républicain.

Comme l’a écrit le sociologue Laurent Mucchielli : « (…) on ne peut que regretter amèrement la banalisation de l’usage de catégories raciales comme si elles étaient en elles-mêmes explicatives de quoi que ce soit. S’il existe une relation entre la couleur de la peau et le trafic de drogues, alors il faut expliquer la nature de cette relation, ou bien se taire » (Tribune du 26 mars 2010 publiée dans Mediapart).

Pour République & Diversité, l’AFR et le CRAN, il est temps de ne plus se taire en combattant des raccourcis qui alimentent des phénomènes plus profonds, plus inquiétants et plus dangereux pour notre « vivre ensemble ».

Sihem Souid pour Le Point (http://www.lepoint.fr/invites-du-point/sihem-souid/la-guerre-aux-drogues-une-guerre-contre-les-minorites-ethniques-07-11-2014-1879530_421.php)

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