Il y a des choses dont on se souvient toute sa vie.

15 avril 2015

J’avais 16 ans et je marchais dans les couloirs du métro Bastille avec une enveloppe de 30 g de beuh planquée dans ma botte. Je marchait au milieu des parisiens pressés lorsque j’aperçois au loin un essaim de képis – à l’époque ils portaient des képis. Je me souviens de l’écho sinistre du talon biseauté de mes santiags mexicaines et de la peur animale qui m’envahit.

« c’est comme les chiens, si tu as peur, ils te mordent »

Je vois leurs yeux fouiller la foule et se fixer sur ma tronche de jeune métis.

« Monsieur ?… Vos papiers ? … C’est à toi ça ?.. Tu viens avec nous. »

Ils étaient quatre ou cinq, des bonnes figures de flics bien de chez nous, goguenards, un peu rougeauds, excités par la prise.

Ils n’emmènent dans un local adjacent du quai, le long de la ligne 1 qui n’était pas encore numérotée. Là, on m’assied sur une chaise et je suis menotté dans le dos. Ensuite je suis giflé. Méthodiquement. Je n’avais pas été giflé depuis l’âge de 7 ou 8 ans. Je ressens encore sur ma joue la brûlure de l’humiliation.

«- qu’est-ce que tu est venu nous faire chier en France ?»
«- pourquoi tu retournes pas dans ton pays fumer ta merde ? »
«- c’est quoi ton pays ? »

Brusquement, l’un d’entre eux sort son arme de service qu’il braque sur mon front avant de me hurler dans la face :

« tu vois, je vais te faire exploser la tête ». J’avais 16 ans !

Quelque années plus tard à la lecture d’un fait divers qui relatait la mort d’un jeune noir, tué d’une balle dans la tête « accidentellement » dans les murs du commissariat du XVIIIe arrondissement, je me souviens d’avoir immédiatement fait le rapprochement.

Le reste est flou. Après ce geste, du sans doute à l’excès de boisson, mes compagnons se sont calmés. J’ai ensuite été transféré au 36 Quai des Orfèvres, dernier étage, dans les locaux de la célèbre brigade des stup et du proxénétisme – la BSP – . Là des flics en civils beaucoup plus calmes m’ont fait asseoir dans un coin à côté d’un pain de shit noir monumental, en attendant qu’un majeur responsable puisse venir me chercher, selon les termes de la loi.

J’avais 16 ans, j’étais jeune et plein de confiance dans la vie. Ce jour là j’ai appris quelque chose d’important. J’ai appris que parmi les fonctionnaires de police de mon pays, certains nourrissaient une telle haine pour la couleur de ma peau, que je risquais ma vie à simplement les côtoyer.

Il paraît que les jeunes noirs ou arabes ont peur de la police…

1 réflexion au sujet de « Il y a des choses dont on se souvient toute sa vie. »

  1. j’ai vécu un truc similaire à la même époque mais moi j’ai pas eu droit au flingue ni aux baffes. A peine quelques insultes. Vous croyez que c’est parce que je suis blanc?

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